Dans la nuit de samedi 11 à dimanche 12 mars 2017, une free party a mal fini près de Chateaubriant. Agriculteurs et gendarmes ont écourté une « teuf ». Quel est ce phénomène méconnu qui pousse des centaines voire des milliers de teufeurs à se retrouver chaque week-end sur de vastes espaces isolés en France ?
Une organisation bien rodée
Samedi, 22 h, l’info vient de tomber. Jules, Mathis, Morgane, Elsa et Clément, âgés de 18 à 20 ans, montent en voiture pour se rendre sur le point de rendez-vous où a lieu la « teuf ». Ils sont prêts à parcourir des dizaines de kilomètres pour aller faire la fête. Ce soir-là, ce sera dans un champ en jachère, mais le rassemblement peut avoir lieu dans un bois ou dans un hangar. Plusieurs centaines de voitures, des camtars aménagés, se garent tant bien que mal en rangées. Quelques tentes apparaissent. Le sound-system, installé par le groupe organisateur, est déjà à l’oeuvre avec son mur de son, ses éclairages, ses peintures sur bois. Chacun a payé la donation, soit une participation libre, de cinquante centimes à dix euros. Toute la nuit, les teufeurs vont danser au rythme d’une musique tekno. Certains discutent, d’autres regardent un jongleur ou un cracheur de feu, les habitués se reconnaissent. Une chance : une buvette sommaire est à leur disposition. Au petit jour, nombreux sont ceux qui continuent à profiter de la musique. Un peu plus tard, le café, les biscuits sont partagés ou échangés dans une ambiance bon enfant. Même si le mur de son ne sera démonté qu’aux alentours de 16 h, des voitures commencent à partir sur le coup de midi. Au détour d’un chemin, les gendarmes les arrêtent pour contrôler si le conducteur est apte à prendre la route.
« Symbole de la réappropriation populaire de la fête, marchandisée »
Apparue d’abord en Angleterre, la free party est une branche de la « rave », fête techno plutôt légale et payante. Au cours des années 1990, les deux se distinguent progressivement pour former deux mouvements distincts. Le sociologue Lionel Pourtau cite dans un article les paroles de Dyna, membre du sound-systèm Défazé à propos de sa conversion à la free party :
« (…) la fête les pieds dans la terre et la tête dans les étoiles, sans videur, sans service de sécurité (…), bref de la liberté, vous ne voulez pas revenir en arrière. Ils ne nous reverront pas dans les boîtes. »
C’est en France, en Tchéquie et en Italie que le mouvement a connu son plus fort développement avec un pic à la fin des années 1990. Aujourd’hui de nombreux jeunes se rassemblent encore pour vivre l’expérience. Pour nombre d’entre eux, « (…) tout commence par une rencontre avec la techno et avec la fête libre. », écrit le musicologue Guillaume Kosmicki. Certains créent leur sound-system, organisent des teufs par forcément légales et partent en voyage.
De l’utopie à la réalité
Ce mouvement n’a pas de frontière, ni de lieu fixe, pas de gourou ni de hiérarchie. Acteurs de la fête, acteurs du mouvement, acteurs de leur vie, ses « adeptes » sont à une étape clé de leur existence : le passage de l’adolescence au monde adulte. Les voilà séduits par cet esprit de fête libre. Pourtant des champs sont « squattés », des nuisances sonores dérangent les riverains malgré l’éloignement des habitations, la consommation de drogues est notoire même si tous les teufeurs n’y ont pas recours. Face à ce mouvement déviant et informel, les autorités publiques réagissent, des lois sont votées. La répression devient plus active en 2001, au nom de la sécurité et de la tranquillité publiques. Les teufeurs utilisent sites et forums pour organiser l’opposition à la loi. Puis la stigmatisation s’affaiblit. Les autorités tentent d’établir un compromis.
« Chacun des acteurs a dû renoncer à son fantasme de toute puissance et prendre en compte la réalité. » d’après Lionel Pourtau.
Une décennie plus tard, les gendarmes continuent d’osciller entre répression, encadrement et tolérance de cette culture juvénile, en témoignent les interventions répressives de gendarmes au cours de free parties en Bretagne durant l’automne 2016. Le nouveau préfet du Finistère entreprend de dialoguer avec les collectifs, c’est-à-dire les associations de défense des rassemblements festifs comme Freeform.
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Un phénomène qui perdure…
Au niveau national, des sound-systems se regroupent quatre à cinq fois par an dans le cadre de grands rassemblements, les teknivals. Plus de 45 000 personnes peuvent s’y retrouver. Pour n’en citer qu’un : celui de Millau qui a fêté ses 20 ans en août 2016.
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En mai 2017, ce sera le teknival annuel du 1er mai. Où se déroulera-t-il ? Mystère. Un point dont on peut être sûr : les « hippies hightech » seront encore nombreux à s’y rassembler. Les free parties ont encore de beaux jours devant elles.